Oeuvres de Mme Bach-Sisley
Régulièrement, nous rendons hommage ici-même à Mme Jean Bach-Sisley la fondatrice du Salon des Poètes de Lyon.
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Voici un autre des ses textes, extrait du recueil (édition originale de 1926) Vitres et Vitraux (éditions de la Pensée latine/Paris).
AU BORD DU LAC
Le lac entre les coteaux boisés vibrait comme une strophe ; saphir liquide dans une coupe de bronze vert griffée par le soleil aux ongles d'or.
Le train courait le long de la berge, et tous nous regardions le lac, les collines molles, et le ciel resplendissant, nous disant que toute la Beauté était là, et que rien n'est plus grand que ta splendeur, Nature, et ton immuabilité.
Dans la portière s'encadrait un couple. Elle fixait au loin ses yeux profonds : l'eau brillante s'y reflétait, le soleil y dansait, mais elle ne voyait rien, car ses yeux étaient pleins de larmes .
Quand elle était entrée dans le wagon silencieux, surchauffé, j'avais pensé : "la pauvre créature !" Le front bas sous les cheveux rares, a robe usée, elle était sans charme, et sa jeunesse même paraissait pleine d'années. Lui, irradié e force, semblait couronné de rêve. Sans doute, ce rêve allait-il à cette belle étrangère qui, sous les dentelles, tout à l'heure, au quai de départ lui avait souri.
Aventure facilement devinée : le ménage modeste va passer quelques jours , longtemps attendus dans la station à la mode ; une idylle se noue, banale, entre la baigneuse riche, désoeuvrée et perverse, et le beau mâle ébloui, pris de vertige devant le luxe soudain révélé, les séductions insoupçonnées de l'élégance.
Puis la douleur de l'autre , l'humble, la laide qui aime, et sent qu'elle ne peut lutter ; douleur qui se contient, s'amasse dans l'âme et tout à coup, se cristallise dès l'ébranlement du train.
Oui cela sans doute, ou autre chose, mais sûrement l'écroulement d'un bonheur.
Les larmes coulaient, coulaient silencieuses. Il voulut l'attirer dans ses bras, elle le repoussa. Dominatrice la main virile s'abattit sur la poitrine qui palpitait , et saisit le sein libre sous la blouse flottante. Domptée par la brutale caresse, déjà reconquise dans sa chair, elle laissa les sanglots monter, révéler toute sa peine immense, le corps tremblait de souffrance et de désir, les mots de reproche et de passion jaillissaient pressés, dans un idiome inconnu ; et sa douleur sauvage lui faisaient une beauté. Alors, je sus, Nature, qu'il est quelque chose de plus grand que toi : le coeur qui souffre, et que plus profondes, plus mystérieuses que le lac sous le soleil d'été sont les larmes sous l'ardent Amour.